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Il avait dit d’abord :

— Je m’efforçais de croire que tu ne serais pas là ; mais au fond j’étais sûr que tu viendrais.

Il put croire qu’Olivier voyait de la présomption dans cette phrase. En l’entendant répondre d’un air dégagé : — « J’avais justement une course à faire dans ce quartier », il lâcha le bras d’Olivier, et son exaltation tout aussitôt retomba. Il eût voulu demander à Olivier s’il avait compris que cette carte adressée à ses parents, c’était pour lui qu’il l’avait écrite ; sur le point de l’interroger, le cœur lui manquait. Olivier, craignant d’ennuyer Édouard ou de se faire méjuger en parlant de soi, se taisait. Il regardait Édouard et s’étonnait d’un certain tremblement de sa lèvre, puis aussitôt baissait les yeux. Édouard tout à la fois souhaitait ce regard et craignait qu’Olivier ne le jugeât trop vieux. Il roulait nerveusement entre ses doigts un bout de papier. C’était le bulletin qu’on venait de lui remettre à la consigne, mais il n’y faisait pas attention.

— Si c’était son bulletin de consigne, — se disait Olivier, en le lui voyant froisser ainsi, puis jeter distraitement, — il ne le jetterait pas ainsi. Et il ne se retourna qu’un instant pour voir le vent emporter ce bout de papier loin derrière eux sur le trottoir. S’il avait regardé plus longtemps, il aurait pu voir un jeune homme le ramasser. C’était Bernard qui, depuis leur sortie de la gare, les suivait… Cependant, Olivier se désolait de ne rien trouver à dire à Édouard, et le silence entre eux lui devenait intolérable.