Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


IX


Nous n’aurions à déplorer rien de ce qui arriva par la suite, si seulement la joie qu’Édouard et Olivier eurent à se retrouver eût été plus démonstrative ; mais une singulière incapacité de jauger son crédit dans le cœur et l’esprit d’autrui leur était commune et les paralysait tous deux ; de sorte que chacun se croyant seul ému, tout occupé par sa joie propre et comme confus de la sentir si vive, n’avait souci que de ne point en trop laisser paraître l’excès.

C’est là ce qui fit qu’Olivier, loin d’aider à la joie d’Édouard en lui disant l’empressement qu’il avait mis à venir à sa rencontre, crut séant de parler de quelque course que précisément il avait eu à faire dans le quartier ce matin même, comme pour s’excuser d’être venu. Scrupuleuse à l’excès, son âme était habile à se persuader que peut-être Édouard trouvait sa présence importune. Il n’eut pas plus tôt menti, qu’il rougit. Édouard surprit cette rougeur, et, comme d’abord il avait saisi le bras d’Olivier d’une étreinte passionnée, crut, par scrupule également, que c’était là ce qui le faisait rougir.