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les « en préparation », afin d’allécher les lecteurs. Cela n’allèche personne et cela vous lie… Il n’est pas assuré non plus que le sujet soit très bon. Il y pense sans cesse et depuis longtemps ; mais il n’en a pas écrit encore une ligne. Par contre, il transcrit sur un carnet ses notes et ses réflexions.

Il sort de sa valise ce carnet. De sa poche, il sort un stylo. Il écrit :

« Dépouiller le roman de tous les éléments qui n’appartiennent pas spécifiquement au roman. De même que la photographie, naguère, débarrassa la peinture du souci de certaines exactitudes, le phonographe nettoiera sans doute demain le roman de ses dialogues rapportés, dont le réaliste souvent se fait gloire. Les événements extérieurs, les accidents, les traumatismes, appartiennent au cinéma ; il sied que le roman les lui laisse. Même la description des personnages ne me paraît point appartenir proprement au genre. Oui vraiment, il ne me paraît pas que le roman pur (et en art, comme partout, la pureté seule m’importe) ait à s’en occuper. Non plus que ne fait le drame. Et qu’on ne vienne point dire que le dramaturge ne décrit pas ses personnages parce que le spectateur est appelé à les voir portés tout vivants sur la scène ; car combien de fois n’avons-nous pas été gênés, au théâtre, par l’acteur, et souffert de ce qu’il ressemblât si mal à celui que, sans lui, nous nous représentions si bien. — Le romancier, d’ordinaire, ne fait point suffisamment crédit à l’imagination du lecteur. »