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« J’ai donc mis en garde Laura, et contre elle, et contre moi-même… J’ai tâché de lui persuader que notre amour ne saurait nous assurer à l’un ni à l’autre de durable bonheur. J’espère l’avoir à peu près convaincue. »

Édouard hausse les épaules, referme le journal sur la lettre et remet le tout dans la valise. Il y dépose également son portefeuille après y avoir prélevé un billet de cent francs qui lui suffira certainement jusqu’au moment où il ira reprendre sa valise, qu’il compte laisser à la consigne en arrivant. L’embêtant c’est qu’elle ne ferme pas à clef, sa valise ; ou du moins qu’il n’a plus la clef pour la fermer. Il perd toujours les clefs de ses valises. Bah ! les employés de la consigne sont trop affairés durant le jour, et jamais seuls. Il la dégagera, cette valise, vers quatre heures ; la portera chez lui ; puis ira consoler et secourir Laura ; il tâchera de l’emmener dîner.

Édouard somnole ; ses pensées insensiblement prennent un autre cours. Il se demande s’il aurait deviné, à la seule lecture de la lettre de Laura, qu’elle a les cheveux noirs ? Il se dit que les romanciers, par la description trop exacte de leurs personnages, gênent plutôt l’imagination qu’ils ne la servent et qu’ils devraient laisser chaque lecteur se représenter chacun de ceux-ci comme il lui plaît. Il songe au roman qu’il prépare, qui ne doit ressembler à rien de ce qu’il a écrit jusqu’alors. Il n’est pas assuré que Les Faux-Monnayeurs soit un bon titre. Il a eu tort de l’annoncer. Absurde, cette coutume d’indiquer