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peut abdiquer sa richesse. Je t’avais fait riche entre tous.

— Mon père, vous savez bien qu’en partant j’avais emporté tout ce que j’avais pu de mes richesses. Que m’importent les biens qu’on ne peut emporter avec soi ?

— Toute cette fortune emportée, tu l’as dépensée follement.

— J’ai changé votre or en plaisirs, vos préceptes en fantaisie, ma chasteté en poésie, et mon austérité en désirs.

— Était-ce pour cela que tes parents économes s’employèrent à distiller en toi tant de vertu ?

— Pour que je brûle d’une flamme plus belle, peut-être, une nouvelle ferveur m’allumant.

— Songe à cette pure flamme que vit Moïse, sur le buisson sacré : elle brillait mais sans consumer.

— J’ai connu l’amour qui consume.

— L’amour que je veux t’enseigner rafraîchit. Au bout de peu de temps, que t’est-il resté, fils prodigue ?

— Le souvenir de ces plaisirs.

— Et le dénûment qui les suit.

— Dans ce dénûment, je me suis senti près de vous, Père.

— Fallait-il la misère pour te pousser à revenir à moi ?

— Je ne sais ; je ne sais. C’est dans l’aridité du désert que j’ai le mieux aimé ma soif.

— Ta misère te fit mieux sentir le prix des richesses.

— Non, pas cela ! Ne m’entendez-vous pas, mon