Page:Gide - Le retour de l'enfant prodigue, paru dans Vers et prose, mars à mai 1907.djvu/6

Cette page a été validée par deux contributeurs.

c’est aussi que son père et sa mère lui ont promis de morigéner le prodigue, demain, et que lui-même il s’apprête à le sermonner gravement. Les torches fument vers le ciel. Le repas est fini. Les serviteurs ont desservi. À présent, dans la nuit où pas un souffle ne s’élève, la maison fatiguée, âme après âme, va s’endormir. Mais pourtant, dans la chambre à côté de celle du prodigue, je sais un enfant, son frère cadet, qui toute la nuit jusqu’à l’aube va chercher en vain le sommeil.


LA RÉPRIMANDE DU PÈRE

Mon Dieu, comme un enfant je m’agenouille devant vous aujourd’hui, le visage trempé de larmes. Si je me remémore et transcris ici votre pressante parabole, c’est que je sais quel était votre enfant prodigue ; c’est qu’en lui je me vois ; que j’entends en moi, parfois et répète en secret ces paroles que, du fond de sa grande détresse, vous lui faites crier :

— Combien de mercenaires de mon père ont chez lui le pain en abondance ; et moi je meurs de faim !

J’imagine l’étreinte du Père ; à la chaleur d’un tel amour mon cœur fond. J’imagine une précédente détresse, même ; ah ! j’imagine tout ce qu’on veut. Je crois cela ; je suis celui-là même dont le cœur bat quand, au défaut de la colline, il revoit les toits bleus de la maison qu’il a quittée. Qu’est-ce donc