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— C’est le porcher qui me la rapporta l’autre soir, après n’être pas rentré de trois jours.

— Oui, c’est une grenade sauvage. — Je le sais ; elle est d’une âcreté presque affreuse ; je sens pourtant que, si j’avais suffisamment soif, j’y mordrais.

— Ah ! je peux donc te le dire à présent : c’est cette soif que dans le désert je cherchais.

— Une soif dont seul ce fruit non sucré désaltère…

— Non ; mais il fait aimer cette soif.

— Tu sais où le cueillir ?

— C’est un petit verger abandonné, où l’on arrive avant le soir. Aucun mur ne le sépare plus du désert. Là coulait un ruisseau ; quelques fruits demi-mûrs pendaient aux branches.

— Quels fruits ?

— Les mêmes que ceux de notre jardin ; mais sauvages. Il avait fait très chaud tout le jour.

— Écoute ; sais-tu pourquoi je t’attendais ce soir ? C’est avant la fin de la nuit que je pars. Cette nuit ; cette nuit, dès qu’elle pâlira… J’ai ceint, mes reins, j’ai gardé cette nuit mes sandales.

— Quoi ! ce que je n’ai pas pu faire, tu le feras ?…

— Tu m’as ouvert la route, et de penser à toi me soutiendra.

— À moi de t’admirer ; à toi de m’oublier, au contraire. Qu’emportes-tu ?

— Tu sais bien que, puîné, je n’ai point part à l’héritage. Je pars sans rien.

— C’est mieux.