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en moi de neuf, que folie ? Dis : qu’as-tu rencontré de désespérant sur ta route ? Oh ! qu’est-ce qui t’a fait revenir ?

— La liberté que je cherchais, je l’ai perdue ; captif, j’ai dû servir.

— Je suis captif ici.

— Oui, mais servir de mauvais maîtres ; ici, ceux que tu sers sont tes parents.

— Ah ! servir pour servir, n’a-t-on pas cette liberté de choisir du moins son servage ?

— Je l’espérais. Aussi loin que mes pieds m’ont porté, j’ai marché, comme Saül à la poursuite de ses ânesses, à la poursuite de mon désir ; mais, où l’attendait un royaume, c’est la misère que j’ai trouvée. Et pourtant…

— Ne t’es-tu pas trompé de route ?

— J’ai marché devant moi.

— En es-tu sûr ? Et pourtant il y a d’autres royaumes, encore, et des terres sans roi, à découvrir.

— Qui te l’a dit ?

— Je le sais. Je le sens. Il me semble déjà que j’y domine.

— Orgueilleux !

— Ah ! ah ! ça c’est ce que t’a dit notre frère. Pourquoi, toi, me le redis-tu maintenant ? Que n’as-tu gardé cet orgueil ! Tu ne serais pas revenu.

— Je n’aurais donc pas pu te connaître.

— Si, si, là-bas, où je t’aurais rejoint, tu m’aurais reconnu pour ton frère ; même il me semble encore que c’est pour te retrouver que je pars.