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saura-t-il bien ouvrir la porte ? et j’étais longue à m’endormir. Chaque matin, avant de m’éveiller tout à fait, je pensais : Est-ce pas aujourd’hui qu’il revient ? Puis je priais. J’ai tant prié, qu’il te fallait bien revenir.

— Vos prières ont forcé mon retour.

— Ne souris pas de moi, mon enfant.

— Ô mère ! je reviens à vous très humble. Voyez comme je mets mon front plus bas que votre cœur ! Il n’est plus une de mes pensées d’hier qui ne devienne vaine aujourd’hui. À peine si je comprends, près de vous, pourquoi j’étais parti de la maison.

— Tu ne partiras plus ?

— Je ne puis plus partir.

— Qu’est-ce qui t’attirait donc au dehors ?

— Je ne veux plus y songer : Rien… Moi-même.

— Pensais-tu donc être heureux loin de nous ?

— Je ne cherchais pas le bonheur.

— Que cherchais-tu ?

— Je cherchais… qui j’étais.

— Oh ! fils de tes parents, et frère entre tes frères.

— Je ne ressemblais pas à mes frères. N’en parlons plus ; me voici de retour.

— Si ; parlons-en encore : Ne crois pas si différents de toi, tes frères.

— Mon seul soin désormais c’est de ressembler à vous tous.

— Tu dis cela comme avec résignation.

— Rien n’est plus fatigant que de réaliser sa dissemblance. Ce voyage à la fin m’a lassé.

— Te voici tout vieilli, c’est vrai.