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la guette ; il est partout ; il rôde autour de toi, en toi. Tiens ferme, mon frère ! Tiens ferme.

— J’ai depuis trop longtemps lâché prise, je ne peux plus refermer ma main sur mon bien.

— Si, si ; je t’aiderai. J’ai veillé sur ce bien durant ton absence.

— Et puis, cette parole de l’Esprit, je la connais ; tu ne la citais pas tout entière.

— Il continue ainsi, en effet : « Celui qui vaincra, j’en ferai une colonne dans le temple de mon Dieu, et il n’en sortira plus. »

— « Il n’en sortira plus. » C’est là précisément ce qui me fait peur.

— Si c’est pour son bonheur.

— Oh ! j’entends bien. Mais dans ce temple, j’y étais…

— Tu t’es mal trouvé d’en sortir, puisque tu as voulu y rentrer.

— Je sais ; je sais. Me voici de retour ; j’en conviens.

— Quel bien peux-tu chercher ailleurs, qu’ici tu ne trouves en abondance ? ou mieux : c’est ici seulement que sont tes biens.

— Je sais que tu m’as gardé des richesses.

— Ceux de tes biens que tu n’as pas dilapidés, c’est-à-dire cette part qui nous est commune, à nous tous : les biens fonciers.

— Ne possédé-je donc plus rien en propre ?

— Si ; cette part spéciale de dons que notre Père consentira peut-être encore à t’accorder.