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louse ; Ellis devait garder la barque ; elle s’enveloppa de son châle à cause de l’humidité, mit la valise sous sa tête, et parmi les roseaux froissés s’assoupit la barque amarrée.


Après une nuit sans rêves vint un réveil sans allégresse ; aucune aurore ne colora le ciel que blanchit, au matin seulement, une aube grelottante et navrée. C’était une clarté si noyée que nous attendions encore l’aube, quand le soleil déjà monté transparut derrière un nuage. Nous rejoignîmes Ellis ; assise dans la felouque, elle lisait la Théodicée. Irrité je lui pris le livre ; les autres se taisaient ; il y eut un moment de perplexité extrêmement pénible, puis comme aucun devoir précis n’unissait plus nos destinées, dans l’incertitude des routes, nos volontés s’éparpillèrent, et chacun de notre côté nous nous aventurâmes vers les terres.

Je n’eus pas le cœur d’aller loin ; — rien que vers un petit bois de hêtres : encore ne l’atteignis-je même pas, mais dès le premier buisson venu, me laissant choir à son ombre,