Page:Gide - Le Voyage d’Urien, Paludes.djvu/84

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terrifiante ; il semblait qu’ils voulussent ainsi supprimer le temps de la honte. Et d’autres femmes sanglotaient parce qu’ils étaient venus trop tard.

Un léger vent commença de s’élever, et rabattant vers la ville la fumée lourde des volcans, jeta sur eux des cendres grises. Épuisés, ils s’étaient dépris pour vomir. Maintenant ils roulaient pêle-mêle sur l’herbe et leurs entrailles faisaient d’horribles efforts pour sortir… Ils moururent ainsi, sans posture, tordus, affreux, déjà décomposés ; et le silence entra dans la ville.

Des nuages alors se levèrent ; une pluie froide vers le matin acheva de glacer leur âme, et les couvrit d’un linceul de boue que l’eau faisait avec la cendre.

Et nous avons pensé aux grandes voiles, au départ ; mais après l’avoir si longtemps souhaité dans une attente si monotone, maintenant que plus rien n’empêchait, nous nous sommes sentis si las, si troublés, si sérieux de la gravité de nos tâches, si fatigués de tout cela, que nous sommes restés avant de quitter la grande île, encore douze jours, assis