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lets de métal une eau teintée de l’aigre jus des groseilles. Ils ne s’arrêtaient de mâcher que pour boire.

Quand leur manteau découvrait leur poitrine, on voyait sous le bras, près du sein, une tache mauve et meurtrie où germinait la maladie : parfois tout leur corps se couvrait de pâles sueurs violettes. — Nous, silencieux tous les douze, et trop graves même pour pleurer, nous regardions nos compagnons mourir.

— Ah ! ce qui fut terrible, ce fut l’arrivée des hommes : ils descendaient de tous les plateaux ; ils espéraient trouver des femmes encore vaillantes et profiter de leurs désirs pour leur donner la maladie. Ils arrivaient courants, hideux, livides, mais quand ils virent les femmes si pâles et qu’ils comprirent, pris d’une épouvante désespérée, ils jetèrent des cris dans la ville. Certaines les voulaient encore ; et l’assurance de la mort leur redonnant comme une sinistre vaillance, ils s’embrassèrent furieusement, ils sucèrent toute la joie qu’ils purent avec une soif, une rage, une espèce de frénésie, pour nous vraiment