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dix, penchés au-dessus des margelles, respiraient ces odeurs de marais sans horreur ; ils riaient, parce qu’ils étaient déjà malades. Ils revêtirent après leurs tuniques mouillées, et, transis, se réjouissaient à l’illusion de sentir leurs chairs raffermies. — Mais le soir, leur fièvre changea de nature ; ils cessèrent de rire : ils furent accablés de langueurs et, couchés sur l’herbe des pelouses, ne songèrent plus qu’à soi-même…

Des fleurs étaient dans l’île, dont les corolles froissées distillaient l’odeur comme d’une menthe glaciale. La plante poussait dans les sables : ils en cueillirent des tiges fleuries, et les pétales qu’ils mâchaient le long du jour, mises après sur leurs chaudes paupières, humectaient leurs yeux secs d’une fraicheur délicieuse. Celle fraîcheur glissait sur les joues, où, pénétrant jusqu’au cerveau, l’emplissait de rêves torpides. Ils sommeillaient comme des fakirs. — Sitôt qu’ils se reposaient de mâcher, le frais qu’ils en avaient tiré, se muait en brûlure, comme il advient d’épices ou d’herbes bénéolentes à la saveur poivrée. Altérés, ils buvaient dans des gobe-