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Et soudain la falaise a cessé ; notre cœur s’est empli de crainte, car nous sentions que c’était là. La nuit maintenant était close. Sans bruit encore quelques pas, et penchés contre l’extrême roche, alors, nous avons regardé. — La lune se levait sur une immense grève ; les sables azurés se mouvaient comme des flots ; sur l’eau flottait toute une escadre, formidable, vaporeuse, inconnue, et nous n’osions plus avancer. Des formes mystérieuses passèrent : tout cela nous parut si pâle, si peu sûr, que nous nous sommes enfuis, saisis d’une épouvante misérable, éclairés, affolés par la lune qui se levait par-dessus la falaise, et devant nous, sur les roches, sur l’eau, jetait nos ombres démesurées.

— Notre délivrance vint d’une plus tragique manière. Déjà naissait, grandissait dans la ville, mais doucement d’abord, la peste horrible et lamentable qui laissa toute l’île après, morne et comme un immense désert. Déjà les fêtes étaient troublées.

… Le matin ces boissons fraîches que nous buvions sur les terrasses, les fruits, les verres d’eau froide après les marches au soleil, et