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venue à l’aube, reine de tous nos désespoirs, belle Haïatalnefous, ah ! laissez-nous partir ! Elle disait alors : — Pourquoi faire ? et nous ne savions que répondre. — Elle disait : Restez avec nous : je suis amoureuse. Une nuit, savez-vous, vous dormiez dans vos chambres, — sans bruit je vins vous baiser sur les veux, et votre âme a été rafraîchie du baiser que je vous ai donné sur les paupières. — Restez ; les vents sont tombés, et vous n’avez plus de navire. Qu’allez-vous donc chercher ailleurs ? Et nous ne savions que lui dire, car elle ne pouvait comprendre que tout cela ne remplit pas nos grandes âmes. Nous pleurions d’inquiétude : Madame, ah ! que vous dirais-je — les noblesses et les grandes beautés toujours nous arrachèrent des larmes : — si belle que vous soyez, Madame, vous n’êtes pas si belle que nos vies : — et nos vaillances dans l’avenir luisent devant nous comme des étoiles. — Puis, exalté par la nuit et par l’aisance de nes paroles, je déclamai, croyant voir dans le passé le reflet de nos futures vaillances : ah ! ah si vous saviez, Madame ! nos jeunesses, les ambassades, les cavalcades d’autrefois,