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élevé, chacun, comme des rois, devant la mer, à regarder monter et redescendre les marées ; nous attendions si quelque voile peut-être ne paraîtrait pas sur les vagues, ou dans le ciel quelque nuée que gonflerait un vent propice. Par noblesse, nous ne faisions pas un geste et demeurions silencieux ; mais quand le soir notre espérance retombée s’en allait avec la lumière, alors un grand sanglot montait de nos poitrines, comme un chant de désespoir. — Et la reine accourait, pour s’amuser de nos détresses, pour savoir, — mais elle nous retrouvait immobiles, les yeux secs, fixés vers où le soleil avait fui. Elle voyait bien que nous pensions au navire, et nous n’osions lui demander ce qu’il était devenu.

Comme nous ne cédions toujours pas, mais que chaque jour elle nous sentait plus nobles, la reine voulut nous distraire, pensant que dans les jeux et les fêtes nous oublierions notre voyage et le sérieux de nos destinées. Elles nous paraissaient très sérieuses et précises ; notre orgueil s’exaltait à cette résistance, et sous la splendeur des manteaux,