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cessé complètement de les voir, si la lumière des étoiles, au travers d’elles n’eût paru plus large, plus pâle, et lavée. — C’est ainsi, par une transition insensible, et qu’un récit bien trop précise, — à travers un climat morose, après les rivages splendides et les jardins sous le soleil, que nous devions enfin, par les mers glacées, aborder aux arides rivages polaires.

Et insensiblement aussi, languissante de maladie, Ellis chaque jour appâlie, plus blonde et comme évaporée, devenait toujours moins réelle et paraissait s’évanouir. — Ellis, lui dis-je enfin, par manière qui la prépare : Vous êtes un obstacle à ma confusion avec Dieu, et je ne pourrai vous aimer que fondue vous aussi en Dieu même. — Et lorsque la felouque aborda vers une terre boréale, où des cabanes d’Esquimaux faisaient de légères fumées, lorsque nous la laissâmes sur la plage pour voguer aussitôt vers le Pôle, elle n’avait déjà presque plus de réalité.

Et nous y laissâmes aussi Yvon, Hélain, Aguisel et Lambègue, malades d’ennui, et qui semblaient près de mourir de somnolence — pour voguer aussitôt très calmes vers le Pôle.