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que je l’ai vue sur la rive, j’ai senti qu’elle était déplacée. Mais que faire à présent ? car tout cela distrait du voyage ; et je n’aime pas, Morgain, les mélancolies sentimentales. Mais Morgain ne paraissait pas me comprendre ; alors je repris d’une façon plus douce…

Ce fut ce même jour, et peu de temps après cette conversation si grave, que parurent à l’horizon les premières glaces flottantes. Un courant les menait jusque vers les eaux tempérées ; elles venaient des mers glaciales.. Elles ne fondaient pas, je suppose, mais se dissolvaient dans l’air bleu, insensiblement plus fluides ; elles se subtilisaient comme des brumes. Et les premières rencontrées, à cause des eaux encore presque tièdes, étaient devenues si futiles, diaphanes et déjà diluées, que la barque les eût traversées sans les voir, et nous n’en fûmes avertis que par la très soudaine fraîcheur.

Vers le soir, toujours plus nombreuses, il en vint de beaucoup plus hautes. Nous circulions au travers d’elles ; un peu plus denses, la barque y heurtait et ne les perçait plus qu’à peine. La nuit vint, et nous eussions