Page:Gide - Le Voyage d’Urien, Paludes.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout l’ennui d’hier, aux bains parfumés de jadis, je regardais la plaine sous-marine : je me souvenais que Morgain, aux jardins d’Haïatalnefous, était descendu sous les ondes, et s’était promené dans les algues. J’allais parler, mais j’aperçus, parmi les algues, sur le sable, comme une vision azurée, une cité dans la mer engloutie. Je restai dans l’incertitude : je regardais n’osant rien dire : la barque avançait lentement — On voyait les murs de la ville : le sable avait empli des rues : — pas toutes, — certaines restaient, vertes entre les murs élevés, comme de profondes vallées. Toute la ville était verte et bleue. Des algues se penchaient des balcons vers les places où les fucus nains s’allongeaient. On voyait l’ombre de l’église. On voyait l’ombre de la barque flotter sur les tombes du cimetière : calmes, des mousses vertes dormantes. La mer était silencieuse : des poissons jouaient dans les flots. — Morgain ! Morgain, voyez ! m’écriai-je. — Il regardait déjà. — Allez-vous regretter ? me dit-il. Je ne répondis pas, par habitude, mais grisé soudain d’un lyrisme excessif qu’il fau-