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son esprit saisissait l’aliment intellectuel que j’approchais d’elle et tout ce dont il pouvait s’emparer, le faisant sien par un travail d’assimilation et de maturation continuel. Elle me surprenait, précédant sans cesse ma pensée, la dépassant, et souvent d’un entretien à l’autre je ne reconnaissais plus mon élève.

Au bout de peu de mois il ne paraissait plus que son intelligence avait sommeillé si longtemps. Même elle montrait plus de sagesse déjà que n’en ont la plupart des jeunes filles, que le monde extérieur dissipe et dont maintes préoccupations futiles absorbent la meilleure attention. Au surplus elle était, je crois, sensiblement plus âgée qu’il ne nous avait paru d’abord. Il semblait qu’elle prétendît tourner à profit sa cécité, de sorte que j’en venais à douter si, sur beaucoup de points, cette infirmité ne lui devenait pas un avantage. Malgré moi je la comparais à Charlotte et lorsque parfois il m’arrivait de faire répéter à