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la porte étroite

heureux ainsi, je te l’avais bien dit ; pourquoi t’étonner que je refuse lorsque tu me proposes de changer.

En effet, je me sentais heureux auprès d’elle, si parfaitement heureux, que ma pensée allait chercher à ne différer plus en rien de la sienne ; et déjà je ne souhaitais plus rien au delà de son sourire, et que de marcher avec elle, ainsi, dans un tiède chemin bordé de fleurs, en lui donnant la main.

— Si tu le préfères, lui dis-je gravement, résignant d’un coup tout autre espoir et m’abandonnant au parfait bonheur de l’instant, — si tu le préfères, nous ne nous fiancerons pas. Quand j’ai reçu ta lettre, j’ai bien compris du même coup que j’étais heureux en effet, et que j’allais cesser de l’être. Oh ! rends-moi ce bonheur que j’avais ; je ne puis pas m’en passer. Je t’aime assez pour t’attendre toute ma vie ; mais, que tu doives cesser de m’aimer ou que tu doutes de mon amour, Alissa, cette pensée m’est insupportable.

— Hélas ! Jérôme, je n’en puis pas douter.