Page:Gide - La Porte étroite, 1909.djvu/46

Cette page a été validée par deux contributeurs.
44
la porte étroite

En transcrivant nos paroles, je sens bien qu’elles paraîtront peu enfantines à ceux qui ne savent pas combien sont volontiers graves les propos de certains enfants. Qu’y puis-je ? Chercherai-je à les excuser ? Pas plus que je ne veux les farder pour les faire paraître plus naturelles.

Nous nous étions procuré les Évangiles dans le texte de la Vulgate et en savions par cœur de longs passages. Sous prétexte d’aider son frère, Alissa avait appris avec moi le latin ; mais plutôt, je suppose, pour continuer de me suivre dans mes lectures. Et, certes, à peine osais-je prendre goût à une étude où je savais qu’elle ne m’accompagnerait pas. Si cela m’empêcha parfois, ce ne fut pas, comme on pourrait croire, en arrêtant l’élan de mon esprit ; au contraire, il me semblait qu’elle me précédât partout librement. Mais mon esprit choisissait ses voies selon elle, et ce qui nous occupait alors, ce que nous appelions : la pensée, n’était souvent qu’un prétexte à quelque communion plus savante, qu’un dé-