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la porte étroite

tite fille que j’étais, qui ne pouvait pas s’endormir que tout ne fût en ordre dans sa chambre et bien pliés au chevet du lit les vêtements quittés…

C’est ainsi que je voudrais me préparer à mourir.

13 octobre.

Relu mon journal avant de le détruire. « Il est indigne des grands cœurs de répandre le trouble qu’ils ressentent. » Elle est de Clotilde de Vaux, je crois, cette belle parole.

À l’instant de jeter au feu ce journal, une sorte d’avertissement m’a retenue ; il m’a paru qu’il ne m’appartenait déjà plus à moi-même ; que je n’avais pas le droit de l’enlever à Jérôme ; que je ne l’avais jamais écrit que pour lui. Mes inquiétudes, mes doutes, me paraissent si dérisoires aujourd’hui, que je ne puis plus y attacher d’importance ni croire que Jérôme puisse en être troublé. Mon Dieu, laissez qu’il y surprenne parfois l’accent malhabile d’un cœur désireux jusqu’à la folie de le pousser jusqu’à ce sommet de vertu que je désespérai d’atteindre.