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la porte étroite

de lui. J’aurais dû tout déchirer… Je n’ai pas pu.

Et déjà d’avoir arraché ces quelques pages, j’ai ressenti un peu d’orgueil… un orgueil dont je rirais, si mon cœur n’était si malade.

Vraiment il semblait que j’eusse là du mérite et que ce que je supprimais fût grand’chose !

6 juillet.

J’ai dû bannir de ma bibliothèque…

De livre en livre je le fuis et le retrouve. Même la page que sans lui je découvre, j’entends sa voix encore me la lire. Je n’ai goût qu’à ce qui l’intéresse, et ma pensée a pris la forme de la sienne au point que je ne sais les distinguer pas plus qu’au temps où je pouvais me plaire à les confondre.

Parfois je m’efforce d’écrire mal, pour échapper au rythme de ses phrases ; mais lutter contre lui c’est encore m’occuper de lui. Je prends la résolution de ne plus lire pour un temps que la Bible (l’Imitation aussi, peut-être) et de ne plus écrire dans ce carnet que, chaque jour, le verset marquant de ma lecture.