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la porte étroite


Papa va de nouveau moins bien ; rien de grave, J’espère, mais il a dû se remettre au lait depuis trois jours.

Hier au soir, Jérôme venait de monter dans sa chambre ; papa qui prolongeait avec moi la veillée m’a laissée seule quelques instants. J’étais assise sur le canapé, ou plutôt — ce qui ne m’arrive presque jamais — je m’étais étendue, je ne sais pourquoi. L’abat-jour abritait de la lumière mes yeux et le haut de mon corps ; je regardais machinalement la pointe de mes pieds qui dépassait un peu ma robe et qu’un reflet de lampe accrochait. Quand papa est rentré, il est resté quelques instants debout devant la porte à me regarder d’une manière étrange, à la fois souriante et triste. Vaguement confuse je me suis levée ; alors il m’a fait signe :

— Viens t’asseoir près de moi, m’a-t-il dit ; et bien qu’il fût déjà tard, il a commencé à me parler de ma mère, ce qu’il n’avait jamais fait depuis leur séparation. Il m’a raconté comment il l’avait