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la porte étroite

pénible revoir du Havre. Le journal ne reprenait que l’an suivant ; feuillets non datés, mais certainement écrits au moment de mon séjour à Fongueusemare.

Parfois en l’écoutant parler je crois me regarder penser. Il m’explique et me découvre à moi-même. Existerais-je sans lui ? Je ne suis qu’avec lui…

Parfois j’hésite si ce que j’éprouve pour lui c’est bien ce que l’on appelle de l’amour ; tant la peinture que d’ordinaire on fait de l’amour diffère de celle que je voudrais en faire. Je voudrais que rien n’en fût dit et l’aimer sans savoir que je l’aime. Surtout je voudrais l’aimer sans qu’il le sût.

De tout ce qu’il me faut vivre sans lui, rien ne m’est plus d’aucune joie. Toute ma vertu n’est que pour lui plaire et pourtant, près de lui, je sens ma vertu défaillante.


J’aimais l’étude du piano parce qu’il me semblait que je pouvais y progresser un peu chaque