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souffre de le voir obtenu sans peine, et différent de ce qu’elle et moi, nous imaginions qu’il dût être. Que cela est compliqué ! Si… je discerne bien qu’un affreux retour d’égoïsme s’offense de ce qu’elle ait trouvé son bonheur ailleurs que dans mon sacrifice — qu’elle n’ait pas eu besoin de mon sacrifice pour être heureuse.

Et je me demande à présent, à sentir quelle inquiétude me cause le silence de Jérôme : ce sacrifice était-il réellement consommé dans mon cœur ? Je suis comme humiliée que Dieu ne l’exige plus de moi. N’en étais-je donc point capable ?

28 mai.

Combien cette analyse de ma tristesse est dangereuse ! Déjà je m’attache à ce cahier. La coquetterie, que je croyais vaincue, reprendrait-elle ici ses droits ? Non ; que ce journal ne soit pas le complaisant miroir devant lequel mon âme s’apprête ! Ce n’est pas par désœuvrement, comme je le croyais d’abord, que j’écris, mais par tristesse. La tristesse est un état de péché, que je ne con-