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la porte étroite

couverte dans le parc. Beaucoup de plantes et d’arbres inconnus dont pourtant j’aurais voulu savoir le nom. De chacun d’eux je cueille une ramille pour me les faire nommer, au déjeuner. Je reconnais en ceux-ci les chênes-verts qu’admirait Jérôme à la villa Borghèse ou Doria-Pamphili… si lointains parents de nos arbres du Nord — d’expression si différente ; ils abritent, presque à l’extrémité du parc, une clairière étroite, mystérieuse, et se penchent au-dessus d’un gazon doux aux pieds, invitant le chœur des nymphes. Je m’étonne, m’effarouche presque de ce qu’ici mon sentiment de la nature, si profondément chrétien à Fongueusemare, malgré moi devienne un peu mythologique. Pourtant elle était encore religieuse la sorte de crainte qui de plus en plus m’oppressait. Je murmurais ces mots : hic nemus. L’air était cristallin ; il faisait un silence étrange. Je songeais à Orphée, à Armide, lorsque tout à coup un chant d’oiseau, unique, s’est élevé, si près de moi, si pathétique, si pur qu’il me sembla soudain que toute la nature l’attendait. Mon cœur battait très fort ; je suis restée un instant appuyée