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la porte étroite

tourner à l’entour du jardin, me reposer quelques instants sur ce banc de la marnière où je pensais que tu venais encore t’asseoir, puis…

— Vois ce que depuis trois soirs j’y viens lire, dit-elle en m’interrompant, et elle me tendit un paquet de lettres ; je reconnus celles que je lui écrivais d’Italie. À ce moment je levai les yeux vers elle. Elle était extraordinairement changée ; sa maigreur, sa pâleur me serrèrent le cœur affreusement. S’appuyant et pesant à mon bras, elle se pressait contre moi comme si elle eût eu peur ou froid. Elle était encore en grand deuil, et sans doute la dentelle noire qu’elle avait mise en guise de coiffure et qui lui encadrait le visage ajoutait à sa pâleur. Elle souriait, mais semblait près de défaillir. Je m’inquiétai de savoir si elle était seule en ce moment à Fongueusemare. Non ; Robert y vivait avec elle ; Juliette, Édouard et leurs trois enfants étaient venus passer près d’eux le mois d’août… Nous étions parvenus au banc ; nous