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la porte étroite

encore « vertu » et de ressentiment contre l’ordinaire occupation de mon cœur. Il semblait qu’en ce dernier revoir, et par l’exagération même de mon amour, j’eusse usé toute ma ferveur ; chacune des phrases d’Alissa, contre lesquelles je m’insurgeais d’abord, restait en moi vivante et triomphante après que mes protestations s’étaient tues. Eh ! sans doute elle avait raison ! je ne chérissais plus qu’un fantôme ; l’Alissa que j’avais aimée, que j’aimais encore n’était plus… Eh ! sans doute nous avions vieilli ! cette dépoétisation affreuse, devant quoi tout mon cœur se glaçait, n’était rien, après tout, que le retour au naturel ; lentement si je l’avais surélevée, si je m’étais formé d’elle une idole, l’ornant de tout ce dont j’étais épris, que restait-il de mon travail, que ma fatigue ?… Sitôt abandonnée à elle-même, Alissa était revenue à son niveau, médiocre niveau, où je me retrouvais moi-même, mais où je ne la désirais plus. Ah ! combien cet effort épuisant de vertu m’apparaissait