Page:Gide - La Porte étroite, 1909.djvu/189

Cette page a été validée par deux contributeurs.
187
la porte étroite

ver sa vie la perdra. » Pour le reste, reprit-elle en souriant plus fort et en me regardant bien en face, en vérité je ne l’ai presque plus compris. Quand on a vécu quelque temps dans la société de ces petits, c’est extraordinaire combien vite la sublimité des grands vous essouffle.

Dans mon désarroi n’allais-je trouver rien à répondre ?…

— S’il me fallait aujourd’hui lire avec toi tous ces sermons, ces méditations…

— Mais, interrompit-elle, je serais désolée de te les voir lire ! Je crois en effet que tu es né pour beaucoup mieux que cela.

Elle parlait tout simplement et sans paraître se douter que ces mots qui séparaient ainsi nos deux vies pussent me déchirer le cœur. J’avais la tête en feu ; j’aurais voulu parler encore et pleurer ; peut-être eût-elle été vaincue par mes larmes ; mais je restais sans plus rien dire, les coudes appuyés sur la cheminée et le front dans les mains. Elle continuait tranquillement d’arranger ses fleurs,