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la porte étroite

settes usés. Quelques jours après, ce furent des serviettes et des draps… Ce travail l’absorbait complètement, semblait-il, au point que ses lèvres en perdissent toute expression et ses yeux toute lueur.

— Alissa ! m’écriai-je le premier soir, presque épouvanté par la dépoétisation de ce visage qu’à peine pouvais-je reconnaître et que je fixais depuis quelques instants sans qu’elle parût sentir mon regard.

— Quoi donc ? fit-elle en levant la tête.

— Je voulais voir si tu m’entendrais. Ta pensée semblait si loin de moi.

— Non ; je suis là ; mais ces reprises demandent beaucoup d’attention.

— Pendant que tu couds, ne veux-tu pas que je te fasse la lecture ?

— Je crains de ne pas pouvoir très bien écouter.

— Pourquoi choisis-tu un travail si absorbant ?

— Il faut bien que quelqu’un le fasse.

— Il y a tant de pauvres femmes pour qui