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la porte étroite

« Oui ! malgré moi je t’ai cherché tout le matin, mon frère. Je ne pouvais te croire parti. Je t’en voulais d’avoir tenu notre promesse. Je pensais : c’est un jeu. Derrière chaque buisson, j’allais te voir apparaître. — Mais non ! ton départ est réel. Merci.

J’ai passé le reste du jour obsédée par la constante présence de certaines pensées, que je voudrais te communiquer — et la crainte bizarre, précise, que, si je ne te les communiquais pas, j’aurais plus tard le sentiment d’avoir manqué envers toi, mérité ton reproche…

Je m’étonnai, aux premières heures de ton séjour à Fongueusemare, je m’inquiétai vite ensuite de cet étrange contentement de tout mon être que j’éprouvais près de toi ; « un contentement tel, me disais-tu, que je ne souhaite rien au delà ! » Hélas ! c’est cela même qui m’inquiète…

Je crains, mon ami, de me faire mal comprendre. Je crains surtout que tu ne voies un raisonnement subtil (oh ! combien il serait maladroit) dans ce qui n’est que l’expression du plus violent sentiment de mon âme.