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la porte étroite

Ma mère me raconta plus tard, qu’abandonnée ou orpheline, elle fut recueillie par le ménage du pasteur Vautier qui n’avait pas encore d’enfants et qui, bientôt après, quittant la Martinique, amena celle-ci au Havre où la famille Bucolin était fixée. Les Vautier et les Bucolin se fréquentèrent ; mon oncle était alors employé dans une banque à l’étranger, et ce ne fut que trois ans plus tard, lorsqu’il revint auprès des siens, qu’il vit la petite Lucile ; il s’éprit d’elle et aussitôt demanda sa main, au grand chagrin de ses parents et de ma mère. Lucile avait alors seize ans. Entre temps, Mme Vautier avait eu deux enfants ; elle commençait à redouter pour eux l’influence de cette sœur adoptive dont le caractère s’affirmait plus bizarrement de mois en mois ; puis les ressources du ménage étaient maigres… tout ceci, c’est ce que me dit ma mère pour m’expliquer que les Vautier aient accepté la demande de son frère avec joie. Ce que je suppose au surplus, c’est que la jeune Lucile commençait à les