Page:Gide - La Porte étroite, 1909.djvu/168

Cette page a été validée par deux contributeurs.
166
la porte étroite

où l’air était frais sous les branches. J’avançais lentement ; le ciel était comme ma joie, chaud, brillant, délicatement pur. Sans doute elle m’attendait venir par l’autre allée ; je fus près d’elle, derrière elle, sans qu’elle m’eût entendu approcher ; je m’arrêtai… Et comme si le temps eût pu s’arrêter avec moi : Voici l’instant, pensai-je, l’instant le plus délicieux peut-être, quand il précéderait le bonheur même, et que le bonheur même ne vaudra pas…

Je voulais tomber à genoux devant elle ; je fis un pas, qu’elle entendit. Elle se dressa soudain, laissant rouler à terre la broderie qui l’occupait, tendit les bras vers moi, posa ses mains sur mes épaules. Quelques instants nous demeurâmes ainsi, elle les bras tendus, la tête souriante et penchée, me regardant tendrement sans rien dire. Elle était vêtue toute en blanc. Sur son visage presque trop grave, je retrouvais son sourire d’enfant…

— Écoute, Alissa, m’écriai-je tout d’un