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la porte étroite

pris naguère dans mes paroles quelque reflet des conseils de mon ami ?…

Je me sentais bien distant de lui désormais ! Nous suivions deux voies divergentes ; et cette recommandation était bien superflue pour m’apprendre à porter seul le tourmentant fardeau de mon chagrin.

Les trois jours suivants furent uniquement occupés par ma plainte ; je voulais répondre à Alissa ; je craignais, par une discussion trop posée, par une protestation trop véhémente, par le moindre mot maladroit, d’aviver incurablement notre blessure ; vingt fois je recommençai la lettre où se débattait mon amour. Je ne puis relire aujourd’hui sans pleurer ce papier lavé de larmes, double de celui qu’enfin je me décidai à envoyer :

« Alissa ! aie pitié de moi, de nous deux !… Ta lettre me fait mal. Que j’aimerais pouvoir sourire à tes craintes ! Oui, je sentais tout ce que tu m’écris ; mais je craignais de me le dire. Quelle affreuse réalité tu donnes à ce qui