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la porte étroite

sait : brusquement, je venais de comprendre que tu partais.

Tu n’étais pas plutôt sorti avec Madeleine que cela m’a paru impossible, intolérable. Sais-tu que je suis ressortie ! je voulais te parler encore, te dire enfin tout ce que je ne t’avais point dit ; déjà je courais chez les Plantier… il était tard ; je n’ai pas eu le temps, pas osé… Je suis rentrée, désespérée, t’écrire… que je ne voulais plus t’écrire… une lettre d’adieu… parce qu’enfin je sentais trop que notre correspondance tout entière n’était qu’un grand mirage, que chacun de nous n’écrivait, hélas ! qu’à soi-même et que… Jérôme ! Jérôme ! ah ! que nous restions toujours éloignés !

J’ai déchiré cette lettre il est vrai ; mais je te la récris à présent, presque la même. Oh ! je ne t’aime pas moins, mon ami ! au contraire je n’ai jamais si bien senti, à mon trouble même, à ma gêne dès que tu t’approchais de moi, combien profondément je t’aimais ; mais désespérément, vois-tu, car, il faut bien me l’avouer : de loin je t’aimais davantage. Déjà je m’en doutais, hélas ! Cette rencontre tant souhaitée achève de m’en