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la porte étroite

lait le plus ce n’était pas que ta main eût lâché la mienne, mais de sentir que, si elle ne l’eût point fait, la mienne eût commencé — puisque non plus elle ne se plaisait plus dans la tienne.

Le lendemain — c’était hier — je t’ai follement attendu toute la matinée. Trop inquiète pour demeurer à la maison, j’avais laissé un mot qui t’indiquât où me rejoindre, sur la jetée. Longtemps j’étais restée à regarder la mer houleuse, mais je souffrais trop de regarder sans toi ; je suis rentrée, m’imaginant soudain que tu m’attendais dans ma chambre. Je savais que l’après-midi je ne serais pas libre ; Madeleine, la veille, m’avait annoncé sa visite et comme je comptais te voir le matin, je l’avais laissée venir. Mais peut-être n’est-ce qu’à sa présence que nous devons les seuls bons moments de ce revoir. J’eus l’étrange illusion quelques instants, que cette conversation aisée allait durer longtemps, longtemps… Et quand tu t’es approché du canapé où j’étais assise avec elle et que, te penchant vers moi, tu m’as dit adieu, je n’ai pu te répondre ; il m’a semblé que tout finis-