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la porte étroite

nous eût secondés, nous eussions inventé notre gêne. Mais qu’Alissa, elle aussi, le sentît, rien ne pouvait me désoler davantage. Voici la lettre que, sitôt de retour à Paris, je reçus :

« Mon ami, quel triste revoir ! tu semblais dire que la faute en était aux autres, mais tu n’as pu t’en persuader toi-même. Et maintenant je crois, je sais qu’il en sera toujours ainsi. Ah ! je t’en prie, ne nous revoyons plus !

Pourquoi cette gêne, ce sentiment de fausse position, cette paralysie, ce mutisme, quand nous avons tout à nous dire ? Le premier jour de ton retour j’étais heureuse de ce silence même, parce que je croyais qu’il se dissiperait, que tu me dirais des choses merveilleuses : tu ne pouvais partir avant.

Mais quand j’ai vu s’achever silencieuse notre lugubre promenade à Orcher et surtout quand nos mains se sont déprises l’une de l’autre et sont retombées sans espoir, j’ai cru que mon cœur défaillait de détresse et de peine. Et ce qui me déso-