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la porte étroite

père ; ce qui confirme ma mémoire, c’est une conversation de ma mère avec Miss Ashburton, sitôt après notre arrivée. J’étais inopinément entré dans la chambre où ma mère causait avec son amie ; il s’agissait de ma tante ; ma mère s’indignait qu’elle n’eût pas pris le deuil ou qu’elle l’eût déjà quitté. (Il m’est, à vrai dire, aussi impossible d’imaginer ma tante Bucolin en noir que ma mère en robe claire.) Ce jour de notre arrivée, autant qu’il m’en souvient, Lucile Bucolin portait une robe de mousseline. Miss Ashburton, conciliante comme toujours, s’efforçait de calmer ma mère ; elle arguait craintivement :

— Après tout, le blanc aussi est du deuil.

— Et vous appelez aussi « du deuil » ce châle rouge qu’elle a mis sur ses épaules ? Flora, vous me révoltez ! s’écriait ma mère.

Je ne voyais ma tante que durant les mois de vacances et sans doute la chaleur de l’été motivait ces corsages légers et largement ouverts que je lui ai toujours connus ; mais,