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la porte étroite

pensé : — « Merci, mon Dieu, d’avoir élu Jérôme pour cette gloire célestielle auprès de laquelle l’autre n’est rien. »

Les semaines, les mois s’écoulaient dans des occupations monotones ; mais, ne pouvant raccrocher ma pensée qu’à des souvenirs ou à des espoirs, à peine m’apercevais-je de la lenteur du temps, de la longueur des heures.

Mon oncle et Alissa devaient aller en juin rejoindre, aux environs de Nîmes, Juliette qui attendait un enfant vers cette époque. Des nouvelles un peu moins bonnes les firent précipiter leur départ.

« Ta dernière lettre, adressée au Havre m’écrivit Alissa, est arrivée lorsque nous venions d’en partir. Comment expliquer qu’elle ne m’ait rejointe ici que huit jours après ? Toute la semaine j’ai eu une âme incomplète, transie, douteuse, diminuée. Ô mon frère ! je ne suis vraiment moi, plus que moi, qu’avec toi…