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la porte étroite

ne passions pas au jardin, nous les passions dans « la salle d’étude », le bureau de mon oncle où l’on avait disposé des pupitres d’écoliers. Mon cousin Robert et moi nous travaillions côte à côte ; derrière nous, Juliette et Alissa. Alissa a deux ans de plus, Juliette un an de moins que moi ; Robert est, de nous quatre, le plus jeune.

Ce ne sont pas mes premiers souvenirs que je prétends écrire ici, mais ceux-là seuls qui se rapportent à cette histoire. C’est vraiment l’année de la mort de mon père que je puis dire qu’elle commence. Peut-être ma sensibilité, surexcitée par notre deuil et, sinon par mon propre chagrin, du moins par la vue du chagrin de ma mère, me prédisposait-elle à de nouvelles émotions : j’étais précocement mûri ; lorsque, cette année, nous revînmes à Fongueusemare, Juliette et Robert m’en parurent d’autant plus jeunes, mais en revoyant Alissa, je compris brusquement que tous deux nous avions cessé d’être enfants.

Oui, c’est bien l’année de la mort de mon