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la porte étroite

Peu de temps après cette dernière lettre, et dès mon retour d’Italie, je fus pris par le service militaire et envoyé à Nancy. Je n’y connaissais âme vive, mais je me réjouissais d’être seul, car il apparaissait ainsi plus clairement à mon orgueil d’amant et à Alissa que ses lettres étaient mon seul refuge, et son souvenir, comme eût dit Ronsard, « ma seule entéléchie ».

À vrai dire je supportai fort allègrement la discipline assez dure à laquelle on nous soumettait. Je me raidissais contre tout et, dans les lettres que j’écrivais à Alissa, ne me plaignais que de l’absence. Et même nous trouvions dans la longueur de cette séparation une épreuve digne de notre vaillance. — « Toi qui ne te plains jamais, m’écrivait Alissa ; toi que je ne peux imaginer défaillant… » Que n’eussé-je enduré en témoignage à ces paroles ?


Un an s’était presque écoulé depuis notre dernier revoir. Elle semblait ne pas y songer,