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la porte étroite

tourne la tête brusquement… il me semble que tu es là !


Je reprends ma lettre. Il fait nuit ; tout le monde dort ; je m’attarde à t’écrire, devant la fenêtre ouverte ; le jardin est tout embaumé ; l’air est tiède… Te souviens-tu, du temps que nous étions enfants, dès que nous voyions ou entendions quelque chose de très beau, nous pensions : Merci, mon Dieu, de l’avoir créé… Cette nuit, de toute mon âme je pensais : Merci, mon Dieu, d’avoir fait cette nuit si belle ! Et tout à coup je t’ai souhaité, là, senti là, près de moi, avec une violence telle que tu l’auras peut-être senti.

Oui, tu le disais bien dans ta lettre : l’admiration, « chez les âmes bien nées », se confond en reconnaissance… Que de choses je voudrais t’écrire encore ! — Je songe à ce radieux pays dont me parle Juliette. Je songe à d’autres pays plus vastes, plus radieux encore, plus déserts. Une étrange confiance m’habite qu’un jour, je ne sais comment, ensemble, nous verrons je ne sais quel grand pays mystérieux… »