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la porte étroite

grand, plus fort, plus coloré qu’aucun de nous, à peu près chauve, d’autre rang, d’autre milieu, d’autre race… il semblait se sentir étranger parmi nous ; il tirait et tordait nerveusement, sous une énorme moustache, un pinceau d’impériale grisonnante. — Le vestibule dont les portes restaient ouvertes n’était plus éclairé ; rentrés tous deux sans bruit, personne ne s’apercevait de notre présence. Un pressentiment affreux m’étreignit :

— Halte ! fit Abel en me saisissant par le bras.

Nous vîmes alors l’inconnu s’approcher de Juliette, et prendre la main que celle-ci lui abandonna sans résistance, sans tourner vers lui son regard. La nuit se fermait dans mon cœur…

— Mais, Abel, que se passe-t-il ? murmurai-je, comme si je ne comprenais pas encore ou espérais que je comprenais mal.

— Parbleu ! La petite fait de la surenchère, dit-il d’une voix sifflante. — Elle ne veut pas