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toute rigide et restrictive, convenait. Il y avait ici plus qu’une convalescence ; il y avait une augmentation, une recrudescence de vie, l’afflux d’un sang plus riche et plus chaud qui devait toucher mes pensées, les toucher une à une, pénétrer tout, émouvoir, colorer les plus lointaines, délicates et secrètes fibres de mon être. Car, robustesse ou faiblesse, on s’y fait ; l’être, selon les forces qu’il a, se compose ; mais, qu’elles augmentent, qu’elles permettent de pouvoir plus, et… Toutes ces pensées je ne les avais pas alors, et ma peinture ici me fausse. À vrai dire, je ne pensais point, ne m’examinais point ; une fatalité heureuse me guidait. Je craignais qu’un regard trop hâtif ne vînt à déranger le mystère de ma lente transformation. Il fallait laisser le temps, aux caractères effacés, de reparaître, ne pas chercher à les former. — Laissant donc mon cerveau, non pas à l’abandon, mais en jachère, je me livrai voluptueusement à moi-même, aux choses, au tout, qui me parut divin. Nous avions quitté