Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/83

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peine, au loin, entendait-on les chiens arabes, qui, comme des chacals, glapissent tout le long de la nuit. Devant moi, la petite cour ; la muraille, en face de moi, y portait un pan d’ombre oblique ; les palmiers réguliers, sans plus de couleur ni de vie, semblaient immobilisés pour toujours… Mais on retrouve dans le sommeil encore une palpitation de vie, – ici rien ne semblait dormir ; tout semblait mort. Je m’épouvantai de ce calme ; et brusquement m’envahit de nouveau, comme pour protester, s’affirmer, se désoler dans le silence, le sentiment tragique de ma vie, si violent, douloureux presque, et si impétueux que j’en aurais crié, si j’avais pu crier comme les bêtes. Je pris ma main, je me souviens, ma main gauche dans ma main droite ; je voulus la porter à ma tête et le fis. Pourquoi ? pour m’affirmer que je vivais et trouver cela admirable. Je touchai mon front, mes paupières. Un frisson me saisit. Un jour viendra – pensai-je, – un jour viendra où même