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tristement et je dus repartir tout seul.

Je n’eus pas fait vingt pas que mon châle me parut d’un poids insupportable ; tout en sueur, je m’assis au premier banc que je trouvai. J’espérais qu’un enfant surviendrait qui me déchargerait de ce faix. Celui qui vint bientôt, ce fut un grand garçon de quatorze ans, noir comme un Soudanais, pas timide du tout, qui s’offrit de lui-même. Il se nommait Ashour. Il m’aurait paru beau s’il n’avait été borgne. Il aimait à causer, m’apprit d’où venait la rivière, et qu’après le jardin public elle fuyait dans l’oasis et la traversait en entier. Je l’écoutais, oubliant ma fatigue. Quelque exquis que me parût Bachir, je le connaissais trop à présent, et j’étais heureux de changer. Même, je me promis, un autre jour, de descendre tout seul au jardin et d’attendre, assis sur un banc, le hasard d’une rencontre heureuse…

Après m’être arrêté quelques instants encore, nous arrivâmes, Ashour et moi, devant ma porte. Je désirais l’inviter à monter,