Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’ils ont quitté le soleil, leur manteau blanc prend la couleur de l’ombre.

Un singulier frisson me saisit quand j’entrai dans cette ombre étrange ; je m’enveloppai de mon châle ; pourtant aucun malaise ; au contraire… Nous nous assîmes sur un banc. Marceline se taisait. Des Arabes passèrent ; puis survint une troupe d’enfants. Marceline en connaissait plusieurs et leur fit signe ; ils s’approchèrent. Elle me dit des noms ; il y eut des questions, des réponses, des sourires, des moues, de petits jeux. Tout cela m’agaçait quelque peu et de nouveau revint mon malaise ; je me sentis las et suant. Mais ce qui me gênait, l’avouerai-je, ce n’était pas les enfants, c’était elle. Oui, si peu que ce fût, je fus gêné par sa présence. Si je m’étais levé, elle m’aurait suivi ; si j’avais enlevé mon châle, elle aurait voulu le porter ; si je l’avais remis ensuite, elle aurait dit : « Tu n’as pas froid ? » Et puis, parler aux enfants, je ne l’osais pas devant elle : je voyais qu’elle avait ses protégés ;